Tournoi Rothmans 1971

Finalement, la chose est confirmée à la fin de ce même mois de février, lors d'une conférence de presse au Château Frontenac. Les organisateurs Gaston Goulet, Jean Marois et Marcel Sirois annoncent que trente-deux joueurs « internationaux » se disputeront un total de 50 000$ en bourses. Changement majeur, toutefois, le tournoi aura lieu sur les terrains intérieurs au PEPS de l'Université Laval où on aménagera des estrades pour 3500 personnes. Et le tennis est vraiment entré dans l'ère professionnelle : on nous rappelle que les participants qui viennent en tête de liste, soit Rod Laver, Arthur Ashe et Ken Rosewall, ont empoché chacun plus de 100 000$ dans la dernière année de compétition.

Il y a tout de même lieu de rester prudents: le tournoi rotation a disparu à cause du désengagement du public. Le retour de ce genre de compétition constitue donc « Un test auprès de la population », comme dit Le Soleil. Celle-ci devrait pourtant être au rendez-vous. D'une part, la température ne sera pas un facteur puisqu'on joue à l'intérieur. D'autre part, il s'agit d'un événement sportif que Gaston Goulet n'hésite pas à qualifier « [d']aussi important dans le domaine du tennis que peut l'être une compétition de la Coupe du Monde ou un match des éliminatoires en vue de la coupe Stanley⁽⁴⁾. »

La vente des billets commence à la mi-juin et on ne se gêne pas dans les journaux pour insister sur le niveau de l'événement : « la plus importante compétition de tennis jamais présentée au Québec... sans doute le plus percutant tournoi de tennis jamais présenté au Canada »⁽⁵⁾. Ce sera incidemment la onzième manche du championnat du monde⁽⁶⁾. Ce pourrait être aussi la dernière chance pour le tennis international à Québec et Goulet met les amateurs au défi : « C'est aux gens de Québec de décider s'ils veulent ou non du tennis de cette classe. »

Pour donner plus de piquant aux parties, on inaugure à Québec un nouveau système en cas d'égalité 6-6 dans un set. Le « tie breaker » sera un système de 12 points. Le premier joueur qui atteint le compte de 7 avec deux points de différence gagne le set. Ce nouveau mode de bris d'égalité remplace donc la formule traditionnelle selon laquelle un joueur devait prendre deux parties d'avance⁽⁷⁾.

(Source: Le Soleil, 26 février 1971)

La valse des désistements qui a causé des maux de tête aux organisateurs des tournois rotation va-t-elle reprendre? On apprend le 15 juillet que « Newcombe préfère se reposer plutôt que de venir à Québec ». Le champion de Wimbledon avait droit à trois semaines de vacances durant la tournée du championnat mondial et il a choisi de les prendre pendant l'étape de Québec⁽⁸⁾.

Les désistements ne sont pas le principal problème pour le moment. Comme dans les derniers tournois rotation, c'est la réponse du public qui se fait attendre. Les organisateurs se montrent prudemment optimistes : « Tout va bien... mais nous n'avons pas encore obtenu la réponse que nous attendions des québécois pour nous assurer davantage », explique Gaston Goulet. Seulement un tiers de l'objectif de ventes est atteint⁽⁹⁾. Il faut dire que le prix des billets est maintenant de trois à quatre dollars, ce qui peut rebuter les spectateurs. Un chroniqueur sportif se demande : « Est-ce trop cher à Québec? Notre ville mérite-t-elle une place sur la scène des grandes attractions sportives ou est-elle réellement une ville à 25 cents?⁽¹⁰⁾ »

[À gauche: Gaston Goulet et Claude Dufresne inspectent la surface de tartan au PEPS sde l'université Laval. Photo Le Soleil, 23 juillet 1971]

Dès la première journée de compétition, les joueurs qui font connaissance avec la surface synthétique éprouvent des difficultés. Pour un, John Alexander, l'australien de vingt ans qui, incidemment, est le plus jeune professionnel, juge qu'on ne peut pas s'attendre à un jeu régulier. Il fait d'ailleurs les frais de la première surprise du tournoi en perdant son match contre le sud-africain Frew Macmillan. C'est à l'occasion de ce match que sera utilisée pour la première fois la formule du « tie-breaker ». Après avoir remporté la première manche 7-5, Macmillan force l'égalité à 6-6 à la deuxième pour remporter le bris d'égalité 8-6. Plus anecdotique, un autre aspect de ce match a retenu l'attention des journalistes : en dépit de la chaleur étouffante et du fait qu'on joue à l'intérieur, le sud-africain a traversé la rencontre avec sa casquette vissée sur la tête⁽¹¹⁾. Vient-il de lancer une mode?

Le plus jeune des professionnels, l'australien John Alexander. Photo Le Soleil, 27 juillet 1971.

Le sud-africain Frew Macmillan et sa casquette. Photo Le Soleil, 27 juillet 1971.

Ci-dessus, l'australien Rod Laver. Photo Le Soleil, 29 juillet 1971.

À droite, le sud-africain Rob Maud surpris par un coup de Laver.
Photo Le Soleil, 28 juillet 1971.

Le jeune américain Bob Lutz a éliminé son compatriote Arthur Ashe.
Photo Le Soleil, 3 juillet 1971.

Très attendu, l'australien Rod Laver, premier joueur mondial, fait face à un adversaire coriace, ce qui donne un des matches les plus excitants de la semaine. Le sud-africain Rob Maud réussit à lui soutirer un set et l'emmène dans le bris d'égalité au troisième. Après avoir frôlé sept fois le point de match, il s'incline finalement 6-4, 4-6, 7-6⁽¹²⁾.

Alors que le tournoi se poursuit sans faire le plein espéré de spectateurs, un porte-parole de Rothmans indique que la compagnie considère sérieusement le retour du tournoi à Québec pour 1972. Gaston Goulet s'en remet aux commanditaires, mais s'estime jusque-là satisfait du déroulement de l'événement. Les entrées sont aux environs de 2000 par jour, mais Goulet maintient son objectif de 18 000 personnes pour la semaine⁽¹³⁾.

La plus grande surprise du tournoi survient le jeudi. Le jeune américain Bob Lutz parvient à surprendre son compatriote Arthur Ashe, semé numéro un du tournoi. Devant 2300 spectateurs, il l'emporte en deux sets de 7-5 et 6-3. « Cela arrive à tout le monde d'être nerveux », commentait Ashe après la partie, tout en reconnaissant que Lutz a joué mieux que lui.

La journée ramène encore une fois la question de la suite du tournoi. La compagnie Rothmans, qui y engage 150 000$, pourrait être empêchée de le faire à nouveau : un projet de loi présentement à l'étude a pour objet d'interdire la publicité sur les cigarettes. Pourtant, George Philips, directeur des événements spéciaux pour la compagnie, pense qu'on pourrait s'en sortir puisque la loi viserait les marques de cigarettes et non la raison sociale des entreprises. Philips ne cache d'ailleurs pas son enthousiasme au sujet du déroulement du tournoi et y va de termes élogieux : « flabergast », « phenomenal ». En bonne logique, il ajoute avec un sourire entendu que « Québec sera certainement considérée pour l'an prochain⁽¹⁴⁾. »

La finale du tournoi sera remportée le dimanche par Tom Okker sur Rod Laver en quatre manches de 6-3, 7-6, 6-7 et 7-1. L'australien a été « perdu par l'ivresse du danger », selon le mot d'un commentateur sportif. Il reconnaît lui-même que son adversaire était dans une bonne journée, mais qu'il l'avait aidé en commettant des « erreurs stupides ». Okker a tout de même du mérite : il est le premier joueur à obtenir deux victoires d'affilée dans ce championnat, après avoir remporté l'étape précédente à Louisville, Kentucky.

La journée a aussi été marquée par une visite éclair du directeur général – et instigateur - du championnat, le millionnaire texan Lamar Hunt, venu voir le « physical setup » du tournoi. Tout en se disant enchanté par le dynamisme du comité d'organisation, il se montre déçu que la finale ne se soit pas jouée à guichets fermés. Effectivement, l'assistance de 12 500 personnes pour la semaine a été en deçà des 18 000 attendues. C'est tout de même mieux que les 11 000 du dernier tournoi rotation.

Avec quelques améliorations comme la vente de billets à l'avance, l'ajout d'estrades et surtout le déplacement dans une autre saison que l'été, Québec aurait de bonnes chances de revoir le Rothmans en 1972. De leur part, les organisateurs, satisfaits de l'expérience, se disent prêts à recommencer en 1972⁽¹⁵⁾i.

Effectivement, la nouvelle tombera en novembre : le Rothmans va revenir à Québec en 1972, qui plus est, du 9 au 16 avril, toujours au PEPS⁽¹⁶⁾.

[Prochaine section : Le tournoi Rothmans 1972]

Le champion du Rothmans à Québec Tom Okker et le directeur général du World Champioship tour, Lamar Hunt.

Photo Le Soleil, 2 août 1971.

Rothmans est une marque de cigarette anglaise créée en 1890, appartenant au groupe British American Tobacco. Vers la même époque, soit en 1899, les frères Drouin lancent à Québec la compagnie Rock City Tobacco. La manufacture de Saint-Roch deviendra après 1910 un des plus gros fabricants au Canada et emploie jusqu'à 500 personnes. À partir de 1936, cependant, elle connaît des difficultés financières et cède 70% de son capital à la compagnie britannique Carreras Tobacco. Devant les difficultés à affronter la concurrence, elle cédera la reste de son capital à Carreras en 1957. Finalement, Carreras sera prise en contrôle par Rothmans en 1963. Aujourd'hui, l'usine de Saint-Roch opère toujours sous la raison sociale Rothmans, Benson & Hedges.

(Source Wikipedia, articles « Rothmans » et « Rothmans, Benson & Hedges »)

À droite: publicité pour le tournoi Rothmans avec le logo de la compagnie. (Le Soleil, 19 juin 1971)

1. Sur le tournoi rotation disparu, voir notre série qui commence avec le Tournoi rotation 1965.
2. Le Soleil (LS), 2 février 1971, p. 8; sur la disparition des terrains des Employés civils, voir notre texte « Le Quebec Winter Club est vendu aux Employés civils ».
3. LS, 16 septembre 1970, p. 33.
4. LS, 26 février 1971.
5. LS, 14 et 15 juin 1971.
6. LS, 16 juin 1971.
7. LS, 22 juin 1971.

8. LS, 15 juillet 1971.
9. LS, 23 juillet 1971.
10. LS, 24 juillet 1971.
11. LS, 27 juillet 1971.
12. LS, 28 juillet 1971.
13. LS, 29 juillet 1971.
14. LS, 30 juillet 1971. 
15. LS, 2 août 1971.
16. LS, 16 novembre 1971.

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