Jean Marois

Le 10/09/2024 0

Dans Championnes et champions

Jean Marois est demeuré un personnage central dans le paysage sportif de Québec pendant près de quatre décennies. À partir de la fin des années 1930, au hockey l'hiver et au tennis l'été, il endosse non seulement le rôle d'athlète, mais ensuite celui d'organisateur et finalement d'entrepreneur. Il sera actif dans le monde du tennis jusque vers la fin de années 1970(1).

Du hockey au tennis; du sport aux affaires

Il y a d'abord l'athlète. Au hockey,  il connaît une fructueuse carrière junior avant de passer chez les professionnels. Après quelques parties dans la Ligue nationale, il gardera les buts de l'équipe des As de Québec pendant dix saisons, de 1945 à 1956. Parallèlement, il commence à collectionner les championnats de tennis dès le niveau junior. Par la suite, il se maintiendra dans le groupe des meilleurs joueurs de la région, classement qu'il va conserver au-delà de la cinquantaine. De plus, il fait partie des premiers représentants de la ville à connaître du succès à l'extérieur de celle-ci, soit dans des championnats du Québec, puis au Canada et même aux États-Unis.

Son implication dépasse la seule pratique du tennis comme sport. Il endosse aussi le rôle d'organisateur. D'abord administrateur des clubs dont il est membre, il sera au cœur de la création et de la gestion de tournois importants, en particulier le Rotation et le Rothmans, qui vont attirer à Québec pendant dix ans la crème du tennis mondial.

Finalement, il se fait entrepreneur pour offrir à la ville un équipement attendu depuis des décennies : des courts intérieurs qui donnent la possibilité aux amateurs de pratiquer leur sport sur de réels terrains de tennis durant douze mois. D'abord en important une technologique européenne - une bulle gonflable -, il fera évoluer son projet pour donner naissance au premier véritable club de tennis intérieur permanent à Québec : le Montcalm, sur le boulevard Champlain.

Dans ce premier texte d'une série, nous allons voir plus en détail la carrière d'athlète de Jean Marois. Viendront ensuite ceux sur l'organisateur et l'entrepreneur.

 

Un belle carrière de hockey

Jean Marois est né le 5 novembre 1924, dans la paroisse de Notre-Dame-du-Chemin, fils de Alfred et Édith Lavoie(2). Il est donc un enfant du quartier Montcalm. Plus tard, il rappellera en entrevue sa jeunesse avenue des Érables, dans le voisinage de plusieurs clubs de tennis. C'est pourquoi il a tout naturellement commencé ce sport dès l'âge de 12 ou 13 ans(3).

Toutefois, le tennis n'est pas possible en hiver à l'époque. Les garçons passent au hockey. Marois commence donc vers l’âge de dix ans. Après l'Académie commerciale de Québec, il se joint comme gardien de but à l'équipe du St-Michael's College de Toronto, où il poursuit ses études « pour apprendre l'anglais ». Il va y passer tout son niveau junior en compagnie de futures grandes figures du hockey canadien : le R.P. David Bauer et Ted Lindsay(4). Il remporte la coupe Memorial en 1942-43, avec l'équipe des Generals d'Oshawa à laquelle il a été prêté(5).

Son talent lui ouvre brièvement les portes de la Ligue nationale. Le « plus grand moment » dans sa carrière de hockey survient durant la saison 1943-1944 : il passe l'hiver avec les Maple Leafs de Toronto(6). Utilisé comme gardien remplaçant dans un match contre les Black Hawks de Chicago, il remporte une victoire de 8-3(7). En 1945, il se joint aux As de Québec de la Ligue senior(8) où il va passer dix saisons avant de mettre fin à sa carrière en 1955-1956. Les succès sont au rendez-vous : l'équipe n'a jamais manqué les séries éliminatoires et Marois a toujours été choisi sur la première ou la deuxième équipe d'étoiles. Mieux, en 1951-1952, sous la direction de Punch Imlach, futur entraîneur des Maple Leafs, et avec le concours de Jean Béliveau, les As remportent le championnat de la ligue et la coupe Alexander(9).

Jean Marois gardien de but

Jean Marois gardien de but des As de Québec.
Le Soleil, 19 septembre 1970, photo d'archives.

Du succès au tennis dès les rangs juniors

Finalistes DM Belvédère 1943

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Sa progression est aussi rapide au tennis. Déjà, à 14 ans, après moins de deux ans d'apprentissage, il participe en 1939 au championnat provincial junior et juvénile à Montréal(10). Évidemment, il ne tarde pas à s'imposer dans sa région natale : en 1941, il remporte le championnat junior de Québec. Il défend son titre avec succès l'année suivante(11) et, toujours en 1942, retourne au tournoi junior provincial et atteint la finale, qu'il perd contre le montréalais Hugh Brodie(12).

Les succès des québécois à l'extérieur de la ville sont assez rares pour que les journaux signalent avec enthousiasme son parcours :

« Jean Marois fait honneur à la ville de Québec par sa performance extraordinaire dans le tournoi pour le championnat junior provincial. Il est si peu fréquent de voir les nôtres figurer avec autant de brio dans un tournoi de tennis étranger qu'il y a lieu de souligner ici le succès de Jean Marois(13). »

 

[Photo à gauche: Les finalistes dans le double masculin au tournoi ouvert du club Belvédère en 1943; de gauche à droite: Jean-Paul Turgeon et Gérard Sabran champions, Jean Marois (19 ans) et Marcel Côté. Le Soleil, 25 septembre 1943]

Champion « de » Québec et « du » Québec

Après la saison 1943, alors qu'il n'a pas encore vingt ans, il est déjà classé au troisième rang des joueurs  locaux(14). Il poursuit son ascension et remporte en 1945 le tournoi intermédiaire de la ville en démontrant dans la finale un jeu solide au filet(15). Désormais classé comme senior, il peut participer la même année au championnat simple masculin de Québec : la fameuse coupe Rondeau. L'événement a lieu en août et Marois confirme son talent en connaissant un parcours sans faute. Le 30, il affronte en finale Jean-Paul Turgeon, premier joueur de la ville et champion défendant, qui a déjà trois de ces championnats en poche. Le match ne manque pas de rebondissements dans les trois premiers sets, mais Marois se distingue par un ralliement spectaculaire et l'emporte finalement 4-6, 6-1, 4-6, 6-0, 6-2(16). Sa victoire n'est pas anodine, puisque Turgeon est un « spécialiste » de ce tournoi, qu'il va remporter en tout à dix reprises, un record inégalé. Cela donne la mesure du mérite du jeune nouveau champion.

La renommée de celui-ci dépasse la région puisque l'Association provinciale de tennis (PQLTA) le choisit pour participer en mai 1946 aux éliminatoires du Canada de la coupe Davis à Montréal. Il est cependant éliminé par Jean-Paul Desjardins(17). Il prend sa revanche au championnat de l'Ontario à Hamilton en juillet, et remporte la triple couronne : le simple contre ce même Desjardins, le double en sa compagnie et le mixte en partenariat avec Mme R. Fisher de Toronto(18).

Les compétitions s’enchaînent ce même été. Aussitôt après le championnat ontarien, celui de l'Est du Canada se dispute en formule ouverte à Toronto. En première ronde, Marois remporte la victoire sur le joueur de l'heure au Québec, Henri Rochon(19). Il perd la finale contre le norvégien Yan Stobo, mais prend sa revanche en double mixte avec  Mme Fisher contre ce même Stobo et sa partenaire Mlle Irvin de NY(20).

Toujours en juillet 1946, les championnats de la province de Québec se tiennent à Montréal. Marois y brille encore une fois et remporte la finale contre « le redouté » Henri Rochon par 1-6, 6-4, 6-3, 6-1. Un chroniqueur précise : « il fit preuve du même sang-froid extraordinaire qui est le sien quand il garde les buts des As, au hockey ». Cette victoire est significative : Marois est le premier tennisman de la ville à remporter ce titre(21).  Rappelons que, jusque-là, le seul titre provincial en simple pour la ville de Québec appartenait à Angéline Lemieux-Beaupré, obtenu en 1922. [Voir notre texte sur Angéline Lemieux-Beaupré]

Pour terminer cette saison exceptionnelle, il est désigné, en compagnie de Don McDiarmid, comme  représentant canadien au tournoi pan-américain à Mexico du 12 au 20 octobre(22).

L'Association provinciale de tennis tarde pourtant à reconnaître pleinement ses mérites. En fin d'année, on le classe au second rang des joueurs, derrière Brendan Macken, qui n'a pourtant même pas participé au championnat provincial(23). Des années plus tard, Marois confiera que de se retrouver derrière Macken, alors qu'aucun joueur canadien ne l'avait battu sera « le plus gros désappointement de sa carrière »(24).

Jean Marois, AC, 24 juillet 1945

Jean Marois, champion
intermédiaire de Québec
Photo L'Action catholique,
24 juillet 1945

Tennis international et titres régionaux

Équipe Davis tchèque

Jean-Paul Turgeon, Jean Marois et les membres de l'équipe Davis de Tchécoslovaquie, Yaroslav Drobny et Vladimir Cernick.
Photo L'Action catholique, 25 août 1947

Québec reçoit régulièrement la visite de joueurs ou joueuses de l'étranger, classés aux premiers rangs dans leur pays, et qui sont venus participer à des tournois en Amérique, entre autres aux séries de la coupe Davis. C'est l'occasion de leur faire présenter des parties d’exhibition, auxquelles se joignent les étoiles locales. Outre l'honneur de fouler le même terrain que ces champions, c'est pour eux ou elles une chance unique d'améliorer son tennis. Comme il fait partie du groupe de tête à Québec, Marois va vivre plusieurs de ces moments.

À la mi-août 1947, les Employés civils, avec son concours, réussissent à amener à Québec deux membres de l'équipe Davis tchèque venus jouer à Montréal :  Jaroslav Drobny et Vladimir Cernik(25). Quelques semaines plus tard, c'est au tour de l'équipe Davis française avec Bernard Destrémeau et Robert Abdessalam(26). L'été suivant, il va pouvoir échanger avec les membres de l'équipe du Mexique(27).

La visite des joueurs français en 1947 ne sera pas la dernière. L'expérience mène à la création d'une « série France-Canada », qui sera jouée en 1949  à Chicoutimi, Québec et St-Georges de Beauce(28). Pour cette occasion, Marois est jumelé à Jean Rochon(29). Évidemment, les étrangers restent maîtres du terrain dans ces rencontres, mais le capital d'expérience accumulé va le servir longtemps.

 

 

À droite: Jean Marois, Jean-Paul Turgeon, Francisco Pancho Guerrero, Armando Vega, champion national du Mexique,  Ignacio de la Bordolla. capitaine de l'équipe Davis du pays et Gustavo Palafox.
Photo L'Action catholique,  12 juillet 1948

Ac 19480713

Ls 19550829

Jean-Pierre Côté, de la maison Émond et Côté, donateur du trophée, Gilles « smasher » Côté et Jean Marois, champions de la coupe Château. Photo Le Soleil, 29 août 1955

La fin des années 1940 est aussi l'époque où Marois s'installe dans la vie. En 1949, il épouse Ghislaine Gagné, rencontrée sur les courts(30). Le couple aura cinq enfants dont la cadette, Nicole, va suivre les traces de son père au tennis. Au tournant de la décennie 1950, il devient un employé de la fameuse Anglo Canadian Pulp and Paper, installée au cœur de Limolou. Il va y faire carrière pendant au moins deux décennies(31).

Classé parmi les meilleurs joueurs de la ville, Marois va se mettre en valeur dans plusieurs tournois régionaux. On a vu qu'il a déjà remporté en 1945 le tournoi intermédiaire et, la même année, le simple masculin senior, la coupe Rondeau. Présent à plusieurs autres reprises dans la finale de ce dernier tournoi, il va le remporter une seconde fois en 1949(32). À cela s'ajoutent plusieurs victoires en double masculin : la coupe Château. Il y en aura quatre en tout. Une première en 1947 avec pour partenaire son frère Maurice(33). Trois autres s'ajoutent alors qu'il forme un duo avec Gilles « smasher » Côté : 1955, 1957 et 1958(34). Enfin, avec son épouse Ghislaine Gagné comme partenaire, il remporte le double mixte régional (coupe Francoeur) à trois reprises : 1949, 1950 et 1955(35). Il le remportera une quatrième fois en 1963 avec une autre partenaire de jeu, Josette Wathier(36).

Des succès encore à l'âge senior

Un aspect marquant de la carrière de Marois est sa longévité. Au moment où beaucoup de joueurs abandonnent la pratique du tennis, il s'y consacre toujours avec le même enthousiasme et un succès certain, en particulier à l'extérieur de la région.

En 1970 à l'âge de 46 ans, il remporte le double masculin senior, en équipe avec Jacques Giguère, au championnat canadien à Toronto. Giguère, une autre tête de série à Québec, a de son côté remporté le simple senior(37).

Ce n'est qu'un début pour leur association. Peu après le championnat canadien de 1970, les deux hommes font partie de l'équipe canadienne de la coupe Stevens à Forest Hills aux États-Unis. Ce championnat est à l'époque l'équivalent de la coupe Davis, mais pour les 45 ans et plus(38). Marois et Giguère atteindront la finale du double masculin contre la Grande-Bretagne(39). Ils y retournent les trois années suivantes, connaissant moins de succès toutefois(40). La consécration va finalement arriver en 1976. Cette année-là, Marois contribue à titre de capitaine à la victoire du Canada sur les États-Unis. L'exploit mérite d'être souligné : il s'agit de la première défaite américaine en coupe Stevens(41).

Ce championnat est la dernière compétition à laquelle est associé le nom de Marois. On sait qu'il continue toutefois à pratiquer ce sport avec plaisir, mais ses autres rôles – organisateur et entrepreneur – auront pris plus de place dans sa vie.

 

À droite: Jean Marois sur les courts à quarante-six ans. Photo Le Soleil, 19 septembre 1970.

 

[Prochaine section à venir: Jean Marois, organisateur]

Le Soleil, 19700919

 

NOTES

1. Le Soleil (LS) revient sur la carrière de sportif de Marois à trois reprises : le 25 mars 1952, le 19 septembre 1970 et le 25 octobre 1978.
2. LS, 25 mars 1952.
3. LS, 25 octobre 1978; l'annuaire Marcotte de 1923-1924 identifie Alfred E. Marois comme président de A. E. Marois Ltée.
4. Le père Bauer a durant les années 1960 formé et dirigé une équipe de joueurs de hockey amateurs aux Jeux olympiques d'hiver et aux championnats du monde; Ted Lindsay a connu une fructueuse carrière dans Ligue nationale à Détroit et à Chicago de 1944 à 1965.
5. LS, 25 mars 1952.
6. L'Action catholique (AC),  15 mai 1944.
7. LS, 25 mars 1952.
8.L'Action catholique du 29 juillet 1949 annonce que Jean Marois vient de signer avec les As pour une cinquième année de suite.
9. LS, 19 septembre 1970.
10. AC, 28 août 1939.
11. AC, 14 juillet 1941 et 27 juillet 1942.
12. AC, 15 août 1942.
13. AC, 13 août 1942.
14. AC, 29 mars 1944.
15. AC, 23 juillet 1945.
16. AC, 30 août 1945.
17. AC, 14 mai 1946.
18. AC, 8 juillet 1946.

19. AC, 12 juillet 1946.
20. AC, 15 juillet 1946.
21. AC, 22 juillet 1946.
22. AC, 19  septembre 1946.
23. AC, 6 décembre 1946.
24. LS, 19 septembre 1970.
25. AC, 18 août 1947.
26. AC, 27 août 1947.
27. AC, 12 juillet 1948.
28. AC, 8 août 1949.
29. AC, 12 août 1949.
30. Dans un article du 25 mars 1952, Le Soleil indique qu'il est marié « depuis trois ans ».
31. LS, 19 septembre 1970; le journal précise que Marois est à l'emploi de la papetière depuis 19 ans.
32. AC, 23 août 1949.
33. AC, 1er août 1947.
34. LS, 29 août 1955,  9 août 1957 et  30 août 1958.
35. AC, 20 septembre 1949, LS, 14 juin 1951 et  8 septembre 1955.
36. LS, 6 septembre 1963.
37. LS, 10 août 1970.
38. LS, 11 août 1970.
39. LS, 30 décembre 1970.
40. LS, 24 juillet 1971, 15 août 1972 et 31 juillet 1973.
41. LS, 25 octobre 1978.

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