Du Forillon serait-il un voisin encombrant, un habitué de la chicane? Il s'est essayé au commerce, comme son père, mais sans trop de succès. Pour une bonne partie de sa vie, ses activités sont mal connues. En tous cas, son nom revient régulièrement dans les causes entendues devant le Conseil supérieur durant ces années. Et il semble – volontairement ou parce qu'il devait s'absenter pour affaires – bien déterminé à faire traîner et retarder par tous les moyens la cause qui l'oppose à Anne de Grandville. De demande de report en condamnation pour défaut, en récusation de juges, l'affaire occupe plusieurs séances du Conseil durant plus d'un an.
On ne sait trop quand et comment les choses ont commencé et plusieurs documents sont toujours introuvables. On comprend cependant que Anne de Grandville s'aperçoit que des installations faites au nom du seigneur de Kamouraska empiètent sur ce qu'elle considère comme le territoire concédé à elle en 1707.
On se retrouve au début de 1712 devant les tribunaux. Dans une première démarche, la seigneuresse de l'Ilet-du-Portage s'adresse à la Prévôté, qui est la cour de première instance à l'époque. Elle obtient le 30 mai 1712 une première sentence:
« ...par laquelle il est ordonné qu'elle jouira de certaines terres a elle accordées suivant le brevet de confirmation de la Cour, et que l’alignement quy les separe d'avecq celles dud Sr du Forillon serait incessamment tiré a frais communs, pour en jouir conformement a leurs titres, avec deffenses aud Sr du Forillon de la troubler a lavenir(6)... »
Du Forillon semble sûr de son bon droit mais il ne produit jamais de documents qui contrediraient la position de Anne de Grandville. Celle-ci se plaint au contraire qu'il laisse plutôt courir des rumeurs en ville sur ses intentions. Comme la sentence du 30 mai reste sans effet, elle porte l'affaire devant une plus haute instance: le Conseil supérieur. Le seigneur de Kamouraska va plutôt chercher, au lieu de se présenter devant le Conseil, à faire avorter le procès.
Il commence le 4 juillet par invoquer la nullité de la procédure prise contre lui. Pire, au huissier qui lui communique le 8 juillet une convocation à comparaître, il répond avec hauteur qu'il ne se présentera pas devant le tribunal, « attendu qu'il a évoqué l'affaire en question pardevant le Roy [c'est nous qui sooulignons] et nos seigneurs de son Conseil d'État ».
Sur ce point, du Forillon tient parole et accumule donc les condamnations à comparaître. Le seule fois où il daigne se présenter, c'est pour demander la révocation de pas moins de dix conseillers, ce qui risque de paralyser le tribunal(7). Le Conseil lui accorde neuf récusations sur les dix, mais réussit à trouver suffisamment de juges pour continuer les procédures. Enfin, le 5 décembre, il rend une sentence dont l'exécution finirait par tirer les choses au clair, soit la nomination d'un arpenteur:
« Il plaise a la Cour nommer d'office en execution d'iceux, tel arpenteur qu'elle jugera a propos pour tirer l'allignement en question tant en presence qu'en l'absence dud. sieur du Forillon a frais communs, et faute par luy de representer ses titres permettre a lad. dame de Soulange d'en faire perquisition sur les registres des ratiffications, ou autrement aux despens dud. sieur du Forillon, et decerner (?) executtoire allencontre de luy tant pour les frais de recherches et levée des expeditions desd. titres que pour les frais de l'arpenteur quant a la moitié qu'il doit payer(8). »
Du Forillon, de son côté, a encore des cartes en mains. Le 24 avril 1713, il obtient de l'intendant Bégon une ordonnance confirmant ses droits sur la partie disputée(9). Cela pourrait mettre un terme aux prétentions de Anne de Grandville.
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